Brève histoire de la première guerre civile (1955 - 1975)

Il y a 50 ans, le 17 avril 1975, Phnom Penh tombait.

À chaque anniversaire décennal, voire annuel, à la date du 17 avril, les médias s'empressent de revenir sur la chute de Phnom Penh, sans jamais parler des raisons qui ont conduit à la première guerre civile, puis au génocide, sans jamais parler de la seconde guerre civile et des événement dramatiques qui se sont déroulés après 1979 ; occultant ainsi des périodes qui furent toutes aussi terribles pour le peuple Khmer.

Ainsi, de l'histoire du Cambodge, nombreux sont ceux qui ne retiennent que la date du 17 avril 1975, comme le début de souffrances atroces du peuple khmer, un génocide qui dura du 17 avril 1975 au 7 janvier 1979. C'est terriblement vrai, mais très réducteur !

POURQUOI ? 

Parce que l'on occulte les intérêts ou les causes de la honteuse géopolitique. Ceux qui savent se taisent, car le pouvoir reste toujours dans l'ombre ! 

Ils laissent ainsi la place aux ignorants qui s'expriment en ne connaissant qu'une toute partie de l'histoire... ; relayés par les médias en quête de sensations fortes avec le poids des mots et le choc des photos, sans se soucier de la moindre vérité, ou si peu.

C'est tellement vrai que cela fait 50 ans qu'on nous raconte une histoire inexacte sur le Cambodge. Histoire que j'ai vécue, en tant que témoin et acteur direct des drames de 1973 à 1998.

Alors, au-delà de l'émotion, bien légitime, permettez-moi de vous résumer, avec humanité, les dates clés de l'histoire méconnue de la première guerre civile, de 1954 à 1979. 

Une longue période me direz-vous !

Certes, mais elle permet de comprendre comment les grands de ce monde : Américains, Chinois, Français, Vietnamiens... mais aussi les Khmers, qu'ils fussent Royaliste, Républicains, ou Communistes qui, comme tous ces dirigeants, se sont acharnés sur le Cambodge dont les agissements ont contribué à exacerber et à faire durer le chaos pendant 30 longues années.

Car "il y a toujours deux histoires : "l’histoire officielle, menteuse ; l’histoire secrète, où se cachent les véritables causes des événements.", comme le précisait Honoré de Balzac.

Premiers bombardements de l'US Air Force :

À partir de 1950, en pleine « guerre froide », la peur d'une subversion communiste généralisée s'empare des États-Unis. S'ensuivit plusieurs années de maccarthysme avec, pour unique obsession, la chasse aux communistes en interne comme sur les théâtres extérieurs !

La défaite de la France à Dien Bien Phu, alors les forces américaines sont venues aider l'armée française, est un élément déclencheur. La peur du communisme est bien réelle, surtout au nord du Vietnam, où ils sont bien présents et aidés par les Russes et les Chinois. Ces communistes représentent une vraie menace pour les forces américaines qui souhaitent réussir en Indochine, là où les Français ont échoué.

Ainsi, la diplomatie américaine, présente à Genève, en juillet 1954, impose la séparation du Vietnam en deux États :

  • l’un au nord du 17e parallèle, la République démocratique du Viêt Nam, ou "Nord-Vietnam" communiste, qui reste sous l'influence de l'Union soviétique et de la Chine ; 
  • l’autre au sud du 17e parallèle, la République du Viêt Nam, ou "Sud-Vietnam" régime anticommuniste et capitaliste, qui devient, de facto, sous l'influence des États-Unis, dont Washington se doit de défendre.

Vietnam1954

Mais comme les États-Unis refusent de signer la déclaration finale, qui impose le retrait de toutes les troupes étrangères, ils sont libres de toutes contraintes, et installent leurs nombreuses bases militaires au Sud-Vietnam. 

Plusieurs années passent, alors qu'au nord du 17e parallèle la menace des Viêt-Congs se fait, chaque jour, plus pressante, il faut pour Washington, briser la montée en puissance des troupes communistes et trouver un prétexte pour envahir le Nord-Vietnam, voire bombarder les pays limitrophes pour empêcher leur progression... Car les Viêt-Congs utilisent les territoires du Laos et du Cambodge pour acheminer leurs troupes ainsi que le matériel de guerre au Sud-Vietnam.

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Ainsi, le 4 août 1964, les Américains inventent une "fausse attaque" des 
Viêt-Congs dans le golf du Tonkin.

Ainsi, dans la nuit du 4 au 5 août 1954, le destroyer américain Turner-Joy est, soi-disant, officiellement attaqué au large du Vietnam du Nord, dans le golfe du Tonkin, par des patrouilleurs nord-vietnamiens. Deux jours plus tôt, un premier accrochage naval avait eu lieu. Dans les heures qui suivent la seconde " attaque ", le président Johnson ordonne en représailles le premier bombardement contre le Vietnam du Nord.

De nombreux rapports* attestent et révèlent le machiavélisme du Président Lyndon Johnson, notamment une déclaration du Secrétaire à la Défense Robert McNamara qui avoue que "... Et finalement, il a été conclu que l'attaque du 4 août avait eu lieu de manière presque certaine. Même si, à l'époque, il y avait une certaine reconnaissance d'une marge d'erreur, nous avons donc pensé que cela était hautement probable, mais pas entièrement certain. Et parce que cela était hautement probable – et parce que même si cela ne s'était pas produit, il y avait un fort sentiment que nous aurions dû réagir à la première attaque, dont nous étions sûrs qu'elle avait eu lieu – le président Johnson a décidé de répondre à la seconde attaque. Il est maintenant clair que la deuxième attaque n'a pas eu lieu...".

 

Nota *: rapport rendu public en 2005 par la National Security Agency, qui indique qu'il n'y a pas eu d'attaque nord-vietnamienne à cette date. Des officiels de l'agence ayant caché auprès de l'administration Johnson l'erreur de la NSA, une résolution prévue depuis de longs mois put être présentée au Congrès, afin de donner au président des États-Unis les pleins pouvoirs militaires pour déclarer la guerre à la République démocratique du Viêt Nam et engager résolument son pays dans la guerre du Viêt Nam.

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Le 7 août 1964, le président Johnson fait adopter, par le Sénat, la " résolution du golfe du Tonkin ". Cette résolution autorise le président Johnson à prendre toutes les mesures nécessaires à la sécurité des forces américaines en Asie. Grâce à ce véritable " chèque en blanc " le gouvernement américain envoie, peu à peu, plus d'un demi-million d'hommes au Vietnam du Sud, sans avoir besoin de consulter le Congrès.

Lyndon Johnson, qui cherchait une bonne raison depuis son élection, a maintenant les mains libres pour engager les troupes américaines déployées au Sud-Vietnam. Il peut enfin contrer l’influence croissante sino-soviétique au Nord-Vietnam, au Laos et au Cambodge. À partir de ce jour, les Américains s’engagent dans une guerre totale qui va détruire une grande partie de l’Indochine sans épargner le Cambodge.

Mais ce n'est pas la seule fourberie de l'Histoire. 

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En janvier 1968, alors que plus de 600 000 soldats américains sont déployés au Sud-Vietnam, l'armée américaine s’enlise. Les espoirs de gagner la guerre s’amenuisent. Les manifestations contre la guerre au Vietnam devenant plus importantes, le président Lyndon Johnson prend conscience qu’il lui faut trouver une solution. La  signature d’un accord de paix, avant les élections de novembre 1968, permettrait à son ami, Hubert Humphrey, membre du Parti démocrate, de l’emporter face à Richard Nixon. 

Afin d’accélérer la démarche, Lyndon Johnson ordonne les premiers bombardements sur la piste Hô Chi Minh, aux frontières du Laos et du Cambodge, afin de forcer Hanoï à discuter… et, surtout, de stopper la progression des Viêt-Congs.

Piste ho chi minh viet congs

Bases us 3

Nota 1 : Viêt-Congs poussant leurs vélos sur la piste. Piste Hô Chi Minh avec les premières zones de bombardements.

Nota 2 : Viêt-Congs, diminutif de "Viêt - Communistes", dénomination donnée par les Américains aux combattants vietnamiens, qui luttèrent contre les forces des États-Unis au titre du Front populaire pour la libération du Sud du Vietnam.

Ces longues files de cyclistes, chargés comme des mulets, marchant à côté de leur vélo, est le fer de lance de toutes les offensives. Silencieuses, rapides, indétectables, elles transportent l’armement lourd (mortiers, roquettes, caisses de munitions et vivres) pour ravitailler les troupes qui combattent les forces américaines déployées au Sud-Vietnam. Poussant leur vélo les deux-mains rivées au guidon, la Kalachnikov en bandoulière, prête à tirer. 

Les Viêt-Congs, représentent une puissance d’attaque quasi-invulnérable, d’un coût presque nul. Leur vie n’a que peu de valeur aux yeux de leurs chefs, prêts à tout pour bouter "l’oncle Sam" hors du Vietnam. Malgré les bombardements de l’US Air Force, ces cyclistes d’un autre monde sont invincibles.

Sous ce premier déluge de feu – tuant principalement des centaines de milliers de Khmers –  les Viêt-Congs stoppent leur progression vers Saïgon, et acceptent de participer aux négociations d’un processus de paix, qui se tenait à Paris secrètement.

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En novembre 1968, à quelques jours des élections américaines, un accord de paix est pratiquement trouvé : il s’agit d’opérer un retrait simultané des troupes américaines et nord-vietnamiennes, et d’arrêter les bombardements. 

Alors, un sabotage a lieu !

Dans cette affaire, l'infâme Henry Kissinger joue un grand rôle. Il a la confiance du président Lyndon Johnson et de très bonnes relations avec les négociateurs américains à Paris. Il est la seule personne, ne faisant pas partie du gouvernement, à être dans la confidence des négociations. Il obtient ainsi des informations capitales, qu’il communique aussitôt à son ami Richard Nixon

Richard Nixon s’empresse de contacter le président sud-vietnamien, le général Nguyen Văn Thieu, lui faisant savoir que si Lyndon Johnson est réélu, il aurait tout à craindre. Nguyen Văn Thieu fait en sorte que les négociations n’aboutissent pas. L’arrêt des bombardements signifie, pour lui, le retrait des forces américaines, la perdition du Sud-Vietnam, et sa mise à mort. Il refuse de participer aux négociations de Paris. Sans sa présence, les négociations échouent.

Puis Richard Nixon, dans les derniers jours de sa campagne, précise qu’il mettra en œuvre un véritable plan de paix au Vietnam, pour réussir là où les démocrates avaient échoué.

Nixon est élu président des États-Unis, face au candidat Hubert Humphrey, poulain de Jonhson… Et Kissinger devient son conseiller à la sécurité nationale !

Il n’y eut aucun plan de paix, comme promis !

Au contraire, dès le 18 mars 1969, Richard Nixon, sans avoir reçu l'aval du Congrès américain, ordonne secrètement l'opération "Menu".


Ainsi, 59 bombardiers "B-52" l'US Air Force pilonnent quotidiennement le sud-est du Cambodge. Ces frappes sont les premières d'une longue série d'attaques sur les sanctuaires 
Viêt-Congs au Cambodge.

C'est le début du chaos au Royaume du sourire, avec le premier exode des paysans vers les grandes villes ou la jungle ; fuyant les destructions massives de leurs rizières, leurs fermes, et leurs campagnes ; fomentant un début de révolution en s'appuyant sur les révolutionnaires Khmers rouges.

Nixon

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Khmers et les Vietnamiens, ennemis héréditaires, ne savent pas encore que leur destin commun est définitivement scellé !
Car, e
n sabotant les négociations de paix de 1968, Richard Nixon plonge toute l'Indochine dans le chaos pour de longues années…

Coup d'État du 18 mars 1970 et ses conséquences :

Le 17 mars 1970, alors que Norodom Sihanouk est en déplacement à l’étranger (Paris, Moscou et Pékin), des proches du gouvernement de Lon Nol, alors Premier ministre, ont délibérément incité la jeunesse khmère à se révolter contre la présence des civils Vietnamiens sur le territoire, entraînant des troubles violents, faisant des milliers de victimes. À l'issue de ce pogrom, les corps de centaines de Vietnamiens dérivent sur le Mékong vers le Sud Vietnam.

Le soir même, Lon Nol convoque quatre de ses ministres – Sirik Matak, Op Kim Ang, Chhan Sokhum, Un Trâmuch – pour comprendre l’origine de cette révolte. Les quatre ministres profitent de cette rencontre pour demander la révocation du chef de l’État, Norodom Sihanouk. Qu'ils considèrent comme trop conciliant avec les Vietnamiens et, à qui, ils attribuent la responsabilité de l’installation des bases Viêt-Congs dans le royaume. Ce qui est vrai..

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Ainsi, dès l’aube, le 18 mars 1970, les troupes gouvernementales envahissent la capitale, et l’aéroport de Phnom Penh est fermé. L’Assemblée nationale, réunie au petit matin, traite d'abord les affaires courantes. Vers 11 heures, les députés sont invités à discuter du « cas Norodom Sihanouk ». 

Ce qui suit a l’allure d’un parricide. Le ton outrancier des députés à l’égard du roi est à peine croyable, tant il est insultant et teinté d’hystérie. Si une opposition à Norodom Sihanouk est concevable, le contenu de ces déclarations ne peut évidemment pas être pris au sérieux. Ils accusent Norodom Sihanouk de crimes que 10 vies entières n’auraient pu lui permettre de commettre, l'accusant même de s’être enrichie en vendant la terre cambodgienne aux Vietnamiens... Ce qui est faux. Mais les arguments finissent par convaincre les députés de la nécessité de destituer Sihanouk.

Cheng Heng, alors président de l'Assemblée nationale, est nommé chef de l'État par intérim, tandis que Lon Nol, en tant que Premier ministre, est investi de pouvoirs d'urgence, alors que Sirik Matak conserve son poste de vice-Premier ministre. Le nouveau gouvernement affirme que le transfert du pouvoir est tout à fait légal et constitutionnel, alors que Norodom Sihanouk, en colère, crie au scandale et cherche des appuis.

Le nouveau régime, de droite, nationaliste, anticommunistes, anti-vietnamiens et pro-américain, stoppe toute coopération clandestine avec le régime nord-vietnamien et le Viêt-Congs, et apporte, au contraire, son soutien aux Américains dans le cadre de la guerre du Viêt Nam. 

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À son arrivée à Pékin, le 20 mars 1970, Norodom Sihanouk est accueilli par Zhou Enlai. Bien qu'il souhaite d'abord négocier les modalités d’un asile politique en France, Norodom Sihanouk est conviée à une entrevue avec les dirigeants chinois. Ils lui promettent un soutien total de son pays s'il accepte d’engager le combat contre l’impérialisme ; ils lui accordent un délai de 24 heures pour réfléchir à la proposition.

En urgence, les dirigeants chinois invitent, à Pékin, le Premier ministre du Nord-Vietnam, Phạm Văn Đồng. Norodom Sihanouk le rencontre en présence de Zhou Enlai. Ils concluent une alliance tripartite (Chine - Vietnam - Cambodge) qui avalise l’acheminement de l’aide chinoise à la résistance khmère, et l’entraînement au Vietnam des troupes de cette nouvelle coalition.

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Le 23 mars 1970, Norodom Sihanouk, depuis Pékin, lance son appel aux armes. L'allocution radiodiffusée appelle le peuple Khmer à la résistance. Il demande à ses « enfants » de ne pas se soumettre aux lois de Phnom Penh, et à rejoindre les révolutionnaires Khmers rouges pour combattre les troupes de l'usurpateur, Lon Nol.

Il annonce également la création du Front National Unifié du Cambodge, doté d'une armée nationale de libération. Légitimant ainsi les Khmers rouges comme principal bras armé de Norodom Sihanouk. Ainsi qu'un Gouvernement Royal d'Union National du Cambodge en exil...

Norodom Sihanouk, sauve la face en prenant la tête du front de résistance, permettant aux forces du Parti communiste du Cambodge de croître dans des proportions qu’ils n’auraient jamais pu espérer.

Si l’appel a peu de répercussions dans les villes, il n'en est pas de même des campagnes où les maquis connaissent une croissance fulgurante. Des manifestations et des émeutes ont également lieu, principalement dans les zones contiguës à celles contrôlées par les Vietnamiens.

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Dans la nuit du 26 mars, à Kampong Cham, des milliers de paysans détournent des bus – parfois avec leurs passagers – et des camions des plantations d'hévéas, pour se rendre à Phnom Penh, afin de manifester leur soutien à Norodom Sihanouk. Ils sont arrêtés aux abords de la capitale par des miliciens qui ouvrent le feu sans sommation. La foule en colère capture l'un des frères du Premier ministre, Lon Nol, et le tue. Les paysans commencent alors à marcher sur la capitale, exigeant la restauration de Norodom Sihanouk à la tête de l'État. Ils sont durement réprimés dès leur entrée dans la capitale, et dispersés par l’armée de Lon Nol qui a reçu l’ordre de tirer sur la foule.

L’affrontement, d’une violence extrême, fait de nombreuses victimes. Et la nouvelle se répand dans tout le pays : « Les paysans offraient leur poitrine aux balles des soldats de Lon Nol. À leur cou pendait l’effigie du Roi », crie-t-on dans les campagnes.

Ce fut une plaie ouverte à jamais, dans le cœur de milliers de paysans, creusant un abîme de haine entre eux et les habitants des villes.

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Le 9 octobre 1970, la République khmère est proclamée, et la royauté abolie. Lon Nol et Sirik Matak, détestés dans les campagnes, restent populaires auprès des élites urbaines et de l’armée. Ils s’adjugent chacun une étoile supplémentaire à leur grade de général et un nouveau drapeau flotte sur la capitale.

Flag of the khmer republic

 

 

 

Le nom du pays en khmer : សាធារណ រដ្ឋ ខ្មែរ (se prononce Sathïr'rona rroat khmê.).

 

La destruction - Seconds bombardements de l'US Air Force (1970 - 1973) :

Le 19 mars 1970, fort du soutien du nouveau gouvernement du Cambodge, le président Richard Nixon ordonne que la CIA soit rapidement déployée dans le pays, afin de préparer une invasion militaire.

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Pendant ce temps-là, la France, que Norodom Sihanouk avait contactée, pour un possible asile, s'est engagée en lui promettant de tout faire pour renverser le gouvernement de Lon Nol, afin qu'il puisse revenir au pouvoir. Ainsi, dans le plus grand secret, la France commence à armer et à financer les Khmers rouges. Dès lors, des cargos venant de France et de Chine approvisionnent régulièrement les Khmers rouges et les Viêt-Congs via le port de Sihanoukville.

 

Pistes ho 1

Légende : en rouge, la piste Hô Chi Minh élargie / en vert, les pistes de ravitaillement des Viêt-Cong et des Khmers rouges à partir du port de Sihanoukville.

Par ailleurs, un certain nombre d'officiers du SDECE sont déployés, afin de surveiller et de contrer les agents de la CIA sur le territoire, notamment là où les Khmers rouges et les Viêt-Congs ont leurs QG... Principalement, dans les zones proches de la "Plantation de la Compagnie du Cambodge", dans la commune de Chup, proche de Kampong Cham, à l'est du Mékong, là où les colons exploitent le latex naturel des hévéas. 

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Fin avril 1970, Richard Nixon ordonne d'attaquer le Cambodge. Les chars et véhicules blindés, ainsi que les troupes terrestres et héliportées sont déployées dans le but de détruire les bases arrières Viêt-Congs.

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Le 1er mai 1970, les troupes US et Sud-vietnamiennes se retrouvent face à face avec les Khmers rouges, tandis que l'US Air Force bombarde au napalm les zones de combats. C'est une bataille disproportionnée « David contre Goliath ». Un jeune officier, du nom de Hun Sen prend le commandement des sections de combat, ordonnant de lutter, de résister jusqu’au dernier homme. Puis, d’autres unités khmères rouges et Viêt-Congs les rejoignent. Grâce à la bravoure de ce jeune officier et à l'arrivée des renforts, l’envahisseur est repoussé.

Suite à cet échec, et lorsque les Américains constatent que les Viêt-Congs, lourdement armés, ont pris, de facto, le contrôle de vastes zones à l'est au centre du Cambodge ; Richard Nixon s’énerve contre son conseiller Henry Kissinger, (les conversations sont enregistrées et voici ce que rapportent leurs échanges du 9 décembre 1970) :

Je considère que la campagne de bombardement au Cambodge est beaucoup trop terne. dit Nixon.

Notre force aérienne est faite pour détruire tout un pays. Elle n’est pas faite pour ce type de guerre ! répond Kissinger.

Nixon en colère s’emporte à nouveau : je veux qu’ils frappent tout. Je veux qu’ils utilisent les gros avions, les petits avions, tout ce qui sera utile là-bas, et qu’on leur donne un choc.

Alors une autre campagne de bombardement de masse, au Cambodge, est déclenchée :

"Tout ce qui vole sur tout ce qui bouge !" Ordonne Kissinger…

 

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Puis, trois mois avant l’élection présidentielle de 1972, Richard Nixon décide de maintenir les troupes américaines engagées au Vietnam, et de renforcer les bombardements sur le Cambodge. Il craint que le gouvernement sud-vietnamien s’effondre sous les attaques incessantes des Viêt-Congs et que cela complique sa réélection :

Le Vietnam du Sud ne survivra sûrement pas […], le Cambodge non plus, mais nous devons aussi prendre conscience, Henry, que gagner une élection est très important ! dit Nixon à Kissinger, (enregistrement officiel).

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Dès lors, l’US Air Force bombarde massivement le pays, c'est la énième campagne de bombardements. Des bombardements intensifs et quotidiens jusqu'en juillet 1973.

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Selon l’histoire officielle des États-Unis, l’armée a ordonné à l’US Air Force de ne bombarder que la piste Hô Chi Minh longeant la frontière. Mais comme l'objectif est de détruire toutes les pistes de ravitaillement, Richard Nixon a exigé le maquillage des coordonnées des bombardements, pour faire croire aux pilotes envoyés au Cambodge qu’ils ne bombardaient qu'en limite du Sud-Vietnam.

Les paysans Khmers sont massacrés, ruinés, affamés. Ils rejoignent en masse les Khmers Rouges et luttent contre le gouvernement de Lon Nol, accusé d’avoir autorisé les bombardements américains sur le pays…

 

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Nota : En rouge, les impacts des bombardements. À l’automne 2000, le président Bill Clinton, en visite au Vietnam, fait publier des rapports détaillés de l’US Air Force pour aider les gouvernements : du Vietnam, du Cambodge et du Laos à retrouver les restes de milliers de soldats américains manquants. Des chercheurs de l'Université Yale utilisent ces documents et retracent les points d'impact à partir des coordonnées de largages (document accessible). 

Ainsi, de juillet 1968 à juillet 1973, l'US Air Force a bombardé 115 273 sites au Cambodge, lors de 231 467 vols, en larguant 2 757 107 tonnes de munitions (bombes à fragments, bombes incendiaires, bombes à sous-munitions...).

Avec les bombardements, des centaines de milliers de vies sont anéanties, des milliers de fermes détruites, la quasi-totalité des rizières et de moyens de subsistance détruits…  Jusqu’à ce que le pays devienne une nation d’exilés errant parmi les décombres et se réfugiant dans les grandes villes jusqu'alors épargnées.

Sans oublier les conséquences des épandages de l’agent "Orange". Ce défoliant, qui a été largué pendant huit ans, a non seulement détruit la flore et la faune, mais aussi causé la mort de dizaines de milliers de personnes, et continue à faire ses ravages parmi les populations frontalières. Mais à cette époque MONSANTO, le fournisseur du défoliant, s'est enrichi à milliards.

Nota : l’agent "Orange" sévit encore en 2025, des enfants naissent difformes ou sans membres, et les gens meurent de cancers…

Première guerre civile (1971 - 1975) :

Suite au coup d'État et aux bombardements massifs, le pays s’engouffre définitivement dans la rébellion, c'est le début de « la première Guerre Civile ».

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Photos de Jean Duquesnay et de C.Spengler .

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En trois ans, la population de la capitale a triplé, passant de 630 000 habitants à 1,9 million.

Pour survivre, les gens des campagnes ont rejoint la capitale, fuyant les bombardements intensifs de l’US Air Force et les combats meurtriers. Les nouveaux venus ont installé des abris précaires ; des abris faits de végétaux, recouverts de bâches plastifiées ou de simples cartons empilés. Tous les espaces disponibles sont utilisés : les trottoirs, les quais au bord du Mékong, les jardins publics. La ville est surpeuplée, congestionnée et les autorités submergées. Il y règne un impressionnant mélange de modernité et de très grande pauvreté. Deux mondes étonnants qui contrastent et s’affrontent avec violence.

Les gens de la ville, richement vêtus et habillés à l’Européenne, bijoux ostentatoires, s’affairent à leurs occupations quotidiennes, utilisant leurs belles voitures ou autres véhicules à moteur… méprisant les miséreux.

Les réfugiés, habillés du traditionnel pyjama noir des paysans khmers, dépenaillés, désemparés, errent pour leur survie, trimbalant leurs fripes et victuailles dans des carrioles délabrées, où s’accroche une ribambelle de gamins… haïssant les citadins.

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Ainsi, malgré l’appui des États-Unis et leur aide financière de 220 millions de dollars, la petite armée du Cambodge, mal équipée, mal entraînée, corrompue à certains niveaux, n’a pas vraiment les moyens de repousser les forces adverses. 

Pire encore, Lon Nol, voulant se prémunir d’un éventuel coup d’État, a démantelé les unités d’élite. Il ne reste qu’une armée de mercenaires cyniques, sans scrupule, profitant du "robinet à dollars". De nombreux officiers ont trouvé de multiples manières de s’enrichir : certains gonflent leurs effectifs pour toucher la solde de combattants inexistants ; d’autres omettent de déclarer les désertions et les décès dans leurs rangs ; enfin, une grande majorité revend à l’ennemi une partie des armes et des équipements qu’elle a reçus.

Tandis que les Khmers Rouges recrutent en masse, et progressent en nombre d’unités. Déjà 60 bataillons s’approchent de Phnom Penh, dont certains comptent plus d’un millier d’hommes. Leurs présences annoncent l’ampleur du désastre. Tandis qu'au Vietnam, les troupes américaines reculent vers Saïgon. Au Cambodge, les forces gouvernementales, désemparées, se replient vers la capitale.

Dès lors, à l’aéroport de Pochentong, chaque jour, une foule indescriptible, pour la plupart des ressortissants Européens ou Américains, se presse, se bouscule, pour embarquer et fuir vers l’Occident avec bagages et enfants.

Quant à l'ensemble du pays, mis à mort par ses chefs militaires, ruiné par son aristocratie qui se dispute l’argent et le pouvoir, il s’enfonce progressivement dans la violence et la corruption.

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En juillet 1973, des officiers de l'Armée de l'Air française arrivent au Cambodge, pour une obscure mission d’observation et de renseignement.

C'est ainsi que je découvre le royaume pour la première fois avec mon équipe, dix jeunes officiers et moi-même responsable de la mission.

Dix officiers spécialistes en Guerre Électronique, chargés des écoutes, du brouillage et du décodage des transmissions des forces présentes : khmères, vietnamiennes et américaines. L'objectif est de transmettre un maximum de renseignements sur la situation des forces présentes sur le territoire et, surtout, de gêner les forces américaines autant que possible.
Les Informations recueillies permettent au gouvernement français d'orienter les actions du 
SDECE qui, eux-mêmes, conseillent les Khmers rouges et les Viêt-Congs, 
depuis les plantations d'hévéas de Chup (proche de Kampong Cham). Plantations qui deviennent la plaque tournante militaire où la France joue un drôle de jeu !

La machine infernale est lancée 

Bref,  le Cambodge, État neutre et pacifique, devient le point focal de la guerre du Vietnam, le lieu où se joue la victoire ou la défaite. 

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En mars 1975, les Khmers Rouges renforcent leur domination. Le Mékong et ses voies fluviales sont coupés, les voies terrestres bloquées, Phnom Penh est encerclée. Seul un pont aérien improvisé empêche l’asphyxie complète de la capitale. Mais l’aéroport de Pochentong, quotidiennement sous les tirs de roquettes, devient vite inutilisable. Le piège se referme.

Parmi le dernier flot de réfugiés refluant vers la capitale, les soldats de Lon Nol, désemparés, reviennent en traînant derrière eux, femmes et enfants, sur des bicyclettes encombrées de casseroles, d’ustensiles domestiques. Depuis longtemps, les défenseurs de la ville ont perdu tout esprit combatif. Ils se battent à la petite semaine, sans aucune conviction ni aucun plan, gonflant les rangs des trois millions de personnes qui se sont réfugiées dans Phnom Penh, soit la moitié de la population du pays.

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Le lundi 17 mars 1975, Albert Pavec, l'un des derniers chargés d'affaires à l'ambassade de France, fuit le pays dès que les premières roquettes tombent sur la ville ; Pavec déserte, abandonnant tout le personnel.

Nota : Depuis le coup d'État du 18 mars 1970, la France avait rompu toutes ses relations diplomatiques avec le Cambodge, et ne maintenait en place qu’une représentation consulaire réduite. Seuls deux gendarmes, un officier télégraphiste et quelques employés sont restés pour rédiger les actes administratifs ; sous la férule d’un chargé d’affaires qui peut remplir les fonctions d'ambassadeur, ou autre chef de mission diplomatique. 

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Le 26 mars 1975, des roquettes tombent dans un lycée de la ville, faisant de nombreuses victimes. Le jour même, tous les établissements scolaires sont fermés. Puis la situation de Phnom Penh empire. Les tirs de roquettes redoublent d’intensité, leurs sifflements infernaux continuent deux jours et deux nuits durant. À chaque coup de boutoir, à chaque nouvelle hécatombe, à chaque destruction provoquée par les roquettes de 122 mm, les citadins ressentent un immense désespoir. 

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Le 1er avril 1975, Lon Nol démissionne et s’enfuit avec sa famille aux États-Unis, précédés par d’autres membres du gouvernement, dont le général Sosthène Fernandez qui a fui les jours précédents, abandonnant le peuple à son triste sort. Certes, ils ont de bonnes raisons, ils craignent pour leur vie et celles de leurs familles...

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Le 12 avril 1975, comme chaque matin au lever du jour, les tirs de la nuit stoppent pour une trêve de quelques heures. Depuis quatre jours, la ville est encerclée. Les quelques denrées qui entrent dans la capitale sont dérobées, ou vendues à prix d’or, ce qui accentue la détresse des pauvres gens.

Ce même jour, une douzaine d'hélicoptères, Sikorsky MH-53, hérissés d’armes à feu, passe au ras des toits, puis plonge vers le centre de Phnom Penh. Cette audacieuse opération, baptisée "Eagle Pull", ne vient pas sauver les habitants de Phnom Penh. Oh que non ! Les Américains se précipitent pour sauver les leurs. Uniquement les leurs !!! 

Juste avant de partir, John  Gunther  Dean, dernier ambassadeur des États-Unis d’Amérique en poste, adresse une lettre au Prince Sirik Matak ainsi qu’à de nombreuses autres personnalités : 

J’ai reçu l’instruction du secrétaire d’État d’assurer le départ immédiat de tous les citoyens américains restants à Phnom Penh, et de nos employés khmers qui souhaiteraient partir avec nous, parce que leurs vies pourraient être en danger s’ils demeurent au Cambodge. Comme je vous l’ai expliqué récemment, nous n’aurons qu’un certain nombre de places sur nos moyens de transport aériens pour les membres clés de votre gouvernement qui désireraient quitter le pays maintenant et qui sont les plus exposés...

Bref, la proposition des Américains est intenable. Peu de personnes peuvent se rendre à l’ambassade avant l’heure de départ, excepté les employés khmers présents dans l’ambassade.

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À partir de ce jour, les Khmers Rouges resserrent leur étau ; bombardant Phnom Penh jour et nuit, criblant le ciel des stries de leurs balles traçantes, tuant des innocents sous une pluie de roquettes.

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Dans la nuit du 16 au 17 avril 1975, la fréquence des tirs redouble. Au hasard, sur la population pour saper le moral, les explosions se font de plus en plus violentes, plus proches. Vers 2h00, le gouvernement tente de négocier un accord de paix avec les Khmers rouges, mais Norodom Sihanouk refuse et établie la liste des sept traites à capturer et à éliminer : Lon Nol, Sirik Matak, Son Ngoc Thanh, Cheng Heng, In Tam, Long Boret et Sosthène Fernandez. 

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Le 17 avril 1975 au matin, les Khmers rouges prennent Phnom Penh.

Les habitants sortent de chez eux pour acclamer les Khmers Rouges, qui les délivrent du gouvernement de Lon Nol. Après cinq années consécutives de combats acharnés, causant des pertes massives en vies humaines, la destruction de l’économie et la famine, le Cambodge va pouvoir renaître sous une république où l’égalité pour tous serait la devise.

Les soldats tout vêtus de noir, arborant un Krama à damier rouge et blanc, symbole de leur identité, ne prêtent aucune attention à l’accueil enflammé de la foule. Ces groupes silencieux et ordonnés remontent les rues, en file indienne, la Kalachnikov en bandoulière, grenades sur la poitrine, visage fermé, sans un mot, sans un sourire. Ils sont épuisés, affamés. Cette marée noire submerge la ville et, rapidement, elle occupe tous les ronds-points, tous les carrefours, arrête et fouille chaque véhicule. Puis soudainement, les hurlements des haut-parleurs redoublent.

Les soldats en noir frappent aux portes en criant : « les Américains vont bombarder la ville. Partir tout de suite. Ne rien emporter, ne rien fermer, nous veillons. L’Angkar veille ! ». Et sur les ondes, Radio Phnom Penh, la voix des révolutionnaires se fait menaçante : "Nous ordonnons à tous les ministres et tous les généraux de se rendre immédiatement au ministère de l’information pour organiser le pays. Vive les forces armées populaires. Vive la révolution !".

Les quelques hommes de bonne volonté qui répondent à l’appel sont emmenés au stade olympique. Là, piégés, ils sont exécutés.

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Ce jour-là, personne n’a vraiment conscience que le pire est à venir. Puis la liesse populaire fait place à l’étonnement, à la consternation, enfin à l’angoisse

Des milliers de personnes s’entassent dans les rues, ne sachant que faire. D’autres, par centaines, ainsi que les Occidentaux encore présents dans le pays, se dirigent vers l’ambassade de France, dernière et unique représentation diplomatique restée ouverte, dernier espoir de refuge.

Quant aux autres, tel un tsunami de trois millions de personnes, ils submergent les avenues. Cette marée humaine, silencieuse, apeurée, passe devant l’ambassade de France en direction des provinces du Nord-ouest. L’hôpital Calmette et les cliniques sont évacués. Le personnel médical, les patients invalides, les malades et les blessés, sont jetés dehors, sans ménagement. Des infirmières, des médecins, attelés à des tables à pansements, à des lits roulants, traînent les malades, dont certains ont encore le flacon de plasma se balançant au-dessus de leur tête. Les valides aident les plus faibles, et les invalides sont traînés, misérablement.

Alors commence le plus terrible des exodes ! Sous une chaleur torride, caniculaire, épuisés et mourant de faim et de soif, ils sont nombreux à périr sur la route. 

De leur côté, les autorités thaïlandaises s’empressent de fermer la frontière avec le Cambodge, et refoulent massivement les personnes qui la franchissent. Le piège se referme sur le peuple Khmer

Ignominie à l'ambassade de France :

Le 17 avril, vers 15 heures, à l’instant même où mon épouse, Tiane, essaie de pénétrer dans l’ambassade, alors que je suis resté en arrière pour porter assistance, les deux gendarmes de l’ambassade fermèrent le portail et refoulent les Khmers venant demander l’aide et l’assistance de la France. 

Très vite, c'est la panique. Les familles, affolées, abandonnent leurs véhicules, jettent leurs bagages, puis escaladent les grilles de l’ambassade. Sans que les gendarmes ne puissent contenir cet assaut désespéré. Mon épouse a pu se faufiler, je suis rassuré.

D’autres repartent, résignées, accablées, incrédules, face à l’attitude des Français. Parmi eux, le Prince Sisowath Monireth, Officier saint-cyrien de la plus prestigieuse École Militaire de l’armée de terre française, ancien combattant de 1939, ex-légionnaire, chevalier de la Légion d’honneur. Il se dirige vers l’ambassade pour solliciter de l’aide, attend désespérément devant le portail, puis fait face à des Français goguenards à l'abri derrière les grilles, et repart à pas lents, sous les regards impassibles des membres du consulat.

Dans les heures qui suivent, seuls les Occidentaux sont autorisés à envahir les lieux. “Envahir”, le mot est faible.

L’ambassade de France se transforme progressivement en camp international. Accueillant les responsables de l’ONU, les diplomates de tout pays, les correspondants de la presse internationale, les expatriés français… En quelques heures, ils sont plusieurs milliers, entassés, partout, dans le jardin, sous les arbres, dans les couloirs des bâtiments…

Des centaines de Khmers, dont plusieurs responsables du régime venant de tomber, ont réussi à s’y réfugier. Ils nourrissent l’illusion d’une protection. Ils vivent leurs derniers instants de liberté, mais ils ne le savent pas encore.

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Durant les nuits du 17 et 18 avril, mon épouse, Tiane, passe une grande partie du temps à discuter avec les dignitaires réfugiés dans l’ambassade : Ung Boun Hor, la princesse Man Manivanh Phavnivong, et plusieurs membres de la branche royale Sisowath, et d'autres qui avaient réussi à pénétrer.

Elle les connait tous, pour les avoir fréquentés lors des grandes cérémonies annuelles, lorsqu’elle partageait, avec ses parents, les places d’honneur réservées aux membres du gouvernement et aux notables. 

Assis à ses côtés, je l’observe. J'admire sa capacité à soutenir et à encourager les plus désespérés, car elle perçoit déjà le dénouement. 

À l’aube du 19 avril, une personne qui m’est inconnue vient enregistrer les noms des notables répartis dans l'ambassade. Cela m’intrigue, surtout quand celui de Tiane est ajouté. 

À qui cette liste est-elle destinée et pourquoi !?

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Puis, les relations avec les Khmers rouges s’enveniment. Jean Dyrac, le nouveau « chargé d’affaires », arrivé fin mars, est sommé de livrer tous les anciens membres du gouvernement de Lon Nol, ainsi que tous les notables khmers, n’ayant pas la double nationalité, qui figurent sur liste ! 

Elle sert donc à cela cette ignoble liste ! À identifier ceux qui doivent être livrés aux Khmers rouges !?

Alors un marchandage odieux commence entre Jean Dirac et les révolutionnaires, sous l'égide du Quai d’Orsay ! 

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Jean Dyrac, parachuté sans aucune connaissance du pays, est persuadé, à tort, que les Khmers rouges vont investir l'ambassade. De plus, il est influencé par un dénommé François Bizot, qui vient juste d'entrée dans l'ambassade. Bizot, qui parle un peu la langue khmère, s’impose dès les premières heures comme interprète ; prenant l’ascendant sur Dyrac et d'autres personnes parlant également le khmer. Bizot devient l'assistant particulier de Jean Dyrac et se charge des relations avec les Khmers Rouges. À partir de cet instant, tout dérape !

Immédiatement, la demande d’expulsion se répand comme une traînée de poudre. C'est la panique la plus totale. Chacun veut profiter des quelques heures avant l’ultimatum pour trouver une solution qui, pour sa femme, son fils, son mari…

Je suis atterré, je cherche à comprendre ce qui se passe.

Qui a donné l’ordre d’établir la liste des personnalités réfugiées dans l’ambassade ? Et, surtout, qui a décider de la transmettre aux Khmers Rouges ? dis-je à haute voix lorsque Dyrac arrive à ma hauteur.

J'insiste et lui demande d'établir un passeport français pour mon épouse, puisque nous sommes mariés et que nous avons les documents le certifiant.

Sans me répondre, il me tourne le dos et s’en va.

À l’évocation de notre mariage si récent, merveilleuse promesse de joie profonde et durable, le joli visage de Tiane s’obscurcit, se fige… puis, elle murmure : "Nous ne sommes mariés que depuis deux mois. Ma provision de bonheur n’est pas bien lourde pour affronter ce qui m’attend…"

Ses mots admirables, d’une tristesse inouïe, m’accablent au plus haut point ; ma gorge se noue, mon regard s’embrume… une rage violente me submerge. Comme un fou, je cours vers Dyrac et le rattrape. Désemparé, je le force à s’arrêter en l’agrippant par le bras. J’insiste, le supplie même. Mais il refuse de m’écouter, et réussit à s’échapper en se précipitant vers le consulat. 

Je sais que les documents officiels, qui prouvent notre mariage, ne seront pas acceptés par les Khmers Rouges. Seul un passeport français permettrait à Tiane de partir avec moi.

Pourtant, dans la nuit, Jean Dyrac et quelques personnes fabriquent de vrais-faux passeports pour ceux qui, parmi les Khmers, sont susceptibles d’en posséder. Je garde l’espoir que l’un de ces précieux sésames me soit remis. Mais rien, pas même un regard, pas même une excuse…

En fait, principalement aux compagnes, aux compagnons, aux copains des expatriés de longue date. Ils se connaissent tous, et se moquent bien des Khmers présents dans l'ambassade. 

Lorsque je questionne Jean Dyrac sur les passeports non utilisés, alors qu’une centaine de ces précieux documents, restés vierges, se trouvent encore dans l’armoire forte du consulat, il est incapable de me répondre, il marmonne une explication confuse que personne ne comprend.

Les passeports ont été réalisés uniquement pour les copains. 

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Après de nombreux échanges de messages, l’incroyable réponse du Quai d'Orsay, d’une froideur administrative, tombe :

Paris, le 19  avril 1975.

Objet  : asile politique.

Vous voudrez bien établir la liste nominative des ressortissants cambodgiens qui se trouvent dans les locaux de l’ambassade, afin d’être prêt à communiquer cette liste à l’expiration du délai qui vous est fixé.

Le dernier message est signé "Courcel", autrement dit, Geoffroy Chodron de Courcel, secrétaire général du ministère. Pourtant, ils furent nombreux à signer les précédents messages : François de Laboulaye, Henri Bolle, Claude Martin, tous sous la coupe d’un certain Henri Froment-Meurice qui détestait le Cambodge, et manigançait en secret.

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Rien n'est fait pour protéger les Khmers réfugiés dans l'ambassade !

Alors que plusieurs unités d’hélicoptères, de la « Royal Air Force », stationnées à Singapour, sont prêtes à intervenir pour sécuriser l'ambassade et évacuer toutes les personnes !!!

Ce que me confirme le Chef d'État-major des armées, le général François Maurin, avec qui j'étais en liaison télégraphique par l'intermédiaire du local radio de l'ambassade. Il tente de convaincre le gouvernement en faisant pression notamment sur Jean Sauvagnargues, ministre des affaires étrangères, en vain (ce qui valut au général François Maurin d'être limogé, les semaines suivantes).

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Le 20 avril, au matin, le temps semble s’être arrêté. Au-dehors, les Khmers rouges s’impatientent. La nervosité est palpable des deux côtés. Les deux gendarmes ouvrent le portail. Les noms des notables sont appelés à plusieurs reprises, mais ils refusent d'obéir, puis ils acceptent, à contrecœur.

Tiane se blottit contre moi, refusant de les rejoindre. Son nom est appelé à plusieurs reprises, je sens sa main m’échapper…

J’essaie de capter les dernières secondes de sa présence. Elle se lève, s’avance vers eux, se retourne en m’adressant un baiser soufflé du creux de sa main, crie mon prénom à plusieurs reprises, puis se fond parmi les autres.

Au moment de partir, il y a un mouvement de recul, beaucoup refusent d’avancer. Tandis que le Prince Sisowath Sirik Matak s’avance, seul, digne. Il franchit le portail et monte dans la jeep qui l’attendait. Puis, sous le contrôle de Jean Dyrac et de ses collaborateurs, le groupe, la peur au ventre, se dirige d’un pas lent vers la sortie. Les deux gendarmes veillent à la bonne marche de l’opération ; poussant les hésitants, empoignant les récalcitrants, expulsant brutalement : la princesse Manivann, sa fille, son gendre et ses petits-enfants, le ministre de la Santé (Loeung Nal), le président de l'Assemblée nationale (Ung Boun Hor) ; et Tïane, mon épouse. 

Jean Dyrac ne bronche pas. Il est comme tétanisé, incapable de prendre la moindre décision, alors que tous le supplient de faire quelque chose...

Ils montent à bord des véhicules. Le visage de Tiane apparait une dernière fois, triste, grave, puis disparait lorsque les camions s'éloignent du portail. 

La mort les attend, ils le savent !

Les expulsés sont exécutés quelques heures seulement après leur sortie de l’ambassade, dans le petit jardin situé à l’entrée principale du marché central. Les anciens dirigeants supplient les Khmers rouges de les laisser en vie, mais en vain. Ils doivent creuser eux-mêmes leur tombe, une fosse de quatre mètres de long, sur deux de large, et un mètre de profondeur. Puis, ils sont massacrés à coups de pelle, avec celles qu’ils ont utilisées pour excaver leur tombeau.

Dans la soirée, les Khmers Rouges, postés à l’extérieur, sont informés, par une personne de l'ambassade, qu’il y a encore quelques personnalités khmères présentes. Dès lors les Khmers rouges exigent que tous les Khmers, n'ayant pas de doubles nationalités, soient livrés.

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Le 22 avril au matin, cédant aux dernières exigences des Khmers rouges, Jean Dyrac s’exécute et organise une seconde vague, de son propre chef, influencé par plusieurs expats français. Ainsi, la France expulse plusieurs centaines de personnes (1297 pour être exact).

Ils se regroupent devant les bâtiments du consulat, sur deux colonnes, bagages à la main. En procession, ils avancent vers le portail. Les hommes s’efforcent de sourire, les femmes pleurent, les enfants crient. Quelques personnes se joignent au cortège, deux Français, un Italien, un Suisse, un Laotien et un Thaïlandais, qui auraient pu rester, mais qui ne veulent pas abandonner leur femme, leur enfant, ou leur père… 

L’ambassade de France, qui était pour eux un refuge, un lieu d’espérance, est devenue un piège immonde. 

Comment peut-on livrer ces gens, ces enfants sans défense ? 

Quelles seront leurs chances de survie ? Aucune !

Après leur départ, certains Français se livrent au pillage des richesses et de l'argent abandonnés par les expulsés. Dans un coin, du consulat, Jean Dyrac qui, dépassé par les événements, pleure comme un enfant, la tête appuyée sur le montant d’une porte, et répète : « Nous ne sommes plus des hommes ! ». Certes, il peut se morfondre de son obéissance aveugle...

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Dans l’ambassade, il ne reste, désormais, qu’un peu plus d’un millier de réfugiés, dont environ sept cents ressortissants français. Les autres possèdent des passeports étrangers représentant une bonne vingtaine de nationalités.

Puis les conditions de vie deviennent difficiles, l’eau potable manque, les vivres aussi. Une odeur nauséabonde se dégage des sanitaires saturés. La tension est palpable, et des querelles éclatent pour des peccadilles. Des clans se forment, se regroupent en différents coins de l’ambassade : là les Russes, qui ne partagent point, ici les Allemands de l’Est, assez généreux ; ou encore les Français, grandes gueules, égoïstes, exigeants et odieux.

Il y a comme un relent colonial assez surprenant, consternant même.

Partout, ce n’est que pleurnicheries, lamentations : « Oh, mon Dieu ! Qu’allons-nous devenir ! ». De telles jérémiades ne surprenaient pas. Ces Français vivaient dans un pays, dont les gens étaient enfoncés dans le malheur et la mort jusqu’au cou, mais geignaient sur leur sort. C’est à se demander s’ils étaient conscients des drames qui se jouaient à l’extérieur !

L’instinct primaire refait surface : agressivité, jalousie, délation. Beaucoup montrent leur véritable nature. Mais les plus vils d’entre eux ont obtenu l’essentiel : faux passeport, antiquités abandonnées dans les locaux, argenterie de l’ambassade… et les richesses abandonnées des Khmers expulsés.

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27 avril 1975, les Khmers rouges informent que les étrangers présents dans l'ambassade seront évacués vers la Thaïlande, en deux convois. Le premier départ est planifié pour le 30 avril, le second pour le 6 mai. Pendant trois jours, dans une ambiance apocalyptique, chacun se prépare à partir, mais beaucoup refusent d'embarquer dans le premier convoi ! 

L’inquiétude sur la destination finale grandit d’heure en heure. L’évacuation par camions, alors que Jean Dyrac négocie le départ par voies aériennes, jette un trouble immense parmi les réfugiés. Tandis que plusieurs unités d’hélicoptères de la « Royal Air Force », toujours stationnées à Singapour, sont prêtes à décoller, afin de porter secours en atterrissant directement dans l'ambassade et évacuer toutes les personnes.

Mais le Quai d'Orsay refuse encore cette possibilité ! Pourquoi ?

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Le 30 avril 1975, dès l’aube, les listes nominatives et les passeports des évacués sont remis aux révolutionnaires. Il y a cinq cents personnes environ. Ce premier convoi a quelque chose d’étrange. Il est composé exclusivement de femmes avec leurs enfants, et de quelques volontaires. Ceux qui ont pillé et expulsé les Khmers de l'ambassade attendent, la peur au ventre, de voir si le premier convoi arrive bien à destination ; craignant pour leurs précieux butins.

Durant le transfert, vers la Thaïlande, certains évoquent les conditions dans lesquelles les réfugiés Khmers ont été livrés aux Khmers rouges, d’autres parlent de dénonciation. Effectivement, des Français avaient remarqué que les notables, notamment Ung Boun Hor, la princesse Man Manivanh Phavnivong, le Prince Sirik Matak et ses nièces, étaient arrivés à l’ambassade avec d’énormes valises, pleines de bijoux, d’or et de dollars. Alors, la meilleure façon de récupérer cette fortune inespérée (environ 1 million de dollars) a été de les faire arrêter.

Ainsi, l’action avait été préméditée, dans l'unique objectif de voler ces malheureux réfugiés ! Et le Quai d'Orsay n'a pas cherché à les sauver, bien au contraire !

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Ce même jour, 30 avril 1975, Saïgon tombe aux mains des Viêt-Congs. L’Armée américaine est vaincue, celle de Lon Nol également. C'est la fin de l’Indochine !

Le 2 mai, vers le milieu de l’après-midi, le premier convoi arrive au poste frontalier de Poïpet. La zone est déserte, entourée de barbelés, de croisillons antichars, de sacs de sable. Quelques baraquements démantelés servent de cantonnement. Deux ponts métalliques enjambent un ruisseau et matérialisent la frontière avec la Thaïlande. Une ancienne voie de chemin de fer traverse le premier pont. Nos véhicules s’arrêtent à quelques dizaines de mètres du second, où les Khmers rouges ordonnent le début du contrôle.

Immédiatement, une immense pagaille s’installe et chacun peut se rendre jusqu’au pont, où les gardes, débordés, laissent passer tout le monde.

Sur l’autre berge, une foule prévenue de notre arrivée, armée d’appareils photo et de caméras, s’agite dans une ambiance euphorique. Des ambulances, des voitures, des cars, des tentes, un dispositif sanitaire de la Croix-Rouge, matérialisent le service d’accueil.

À l’extrémité du pont, les gardes frontaliers thaïlandais attendent pour le pointage des évacués, et la vérification stricte des documents. Ils démasquent les illégaux, leur interdisant l’asile à grands cris et gesticulations. Alertés par tant de bruit, les Khmers rouges réagissent, accourent kalachnikov aux poings, et saisissent les clandestins pour les ramener vers la zone de cantonnement. Un silence de mort flotte dans nos rangs. Alors que de l’autre côté du ruisseau, journalistes, officiels de tout pays et le personnel des organisations humanitaires, manifestent leur enthousiasme sans vraiment comprendre la situation.

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Le 6 mai, la deuxième évacuation vers la Thaïlande prend la route, à bord des camions, les expulseurs et les pilleurs peuvent quitter le pays sans crainte !

Le génocide (période 1975 - 1977)

Dès le 18 avril, les écrits de la presse française reflètent l'enthousiasme du gouvernement ; en faisant l’éloge de la chute de Phnom Penh. Dans son édition du jour, le journal l’Humanité titre sans équivoque : C’est la victoire du peuple en armes ! Nous vous adressons nos plus chaleureuses félicitations. Puis, rend hommage aux forces Khmères rouges de Norodom Sihanouk (FUNC - GRUNC); avec témoignages à l'appui.

 

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Libération, Le Monde saluent également la chute de Phnom Penh. Les autres journaux restent plus prudents… mais ne condamnent pas.

Plus tard, en 1976, Jean Lacouture, journaliste connaissant le Cambodge, dont la sympathie pour les Khmers rouges est notoire, et soutenu par de nombreux intellectuels Français, attaque toutes les personnes, dont moi-même, dénonçant les crimes au Cambodge : Comment peut-on critiquer un mouvement de résistance qui a combattu un gouvernement fabriqué par les Américains ? Un mouvement qui annonce la venue d’un meilleur Cambodge !

Nota : Jean Lacouture avoue en 1978 à « Valeurs actuelles » sa honte d’avoir été complice, d’avoir "péché par ignorance et naïveté". Alors que Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Anatole Bisk (dit Alain Bosquet), et tant d'autres n'ont jamais reconnu leurs erreurs. D'ailleurs, était-ce une erreur !? dira l'un d'eux...

Donc du 17 au 18 avril 1975, la capitale est évacuée. Tandis que les villes sont évacuées progressivement vidées de leurs habitants, jusqu'à devenir des cités fantômes. L’exode les conduit vers les camps de rééducation pour les citadins, et les camps de travail pour les paysans.

Camps de travail 1

Dans ce pays dévasté par cinq années de bombardements (1968-1973), et cinq années de guerre civile (1970-1975), il faut reconstruire les canaux d'irrigation pour les rizières, reconstruire les ponts et les routes, créer des écoles pour enseigner aux jeunes enfants issus des campagnes qui en furent privés pendant cinq ans. C'est aussi l'occasion de les endoctriner !

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Il faut non seulement reconstruire, mais réinventer le pays. Dont personne ne peut encore s’imaginer l’avenir.

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Ainsi, l’Angkar, l’organisation dirigeante des Khmers Rouges, prône la naissance d’un peuple nouveau, sans tare, qui n'opprime plus les paysans, mais qui travaillent la terre en refusant les futilités de la vie moderne.

Dès lors, le pays sombre dans la dictature, avec la volonté de créer une société sans classe, la suppression de la religion, la purge de l’influence impérialiste et la condamnation du peuple des villes, qui a succombé aux vices du capitalisme.

Les premiers à payer de leur vie sont les nobles, les artistes et les notables, ainsi que les habitants des villes qui sont considérés coupables d'avoir soutenu le gouvernement pro américain de Lon Nol. Ils sont exécutés, avec leur famille. Et selon la doctrine de l’Angkar « Il vaut mieux faire une erreur en tuant un innocent que de laisser un ennemi en vie ».

Toujours selon l’Angkar : "Il faut que les citadins comprennent qu’en suant pour défricher, semer, planter, récolter, ils apprendront la vraie valeur des choses…".

Sur cette base aberrante, la monnaie est supprimée, tous les signes d’une société dite décadente sont abandonnés : argent, machines, radios, automobiles, tracteurs, télévisions, usines… Les livres occidentaux sont considérés comme vecteurs de la pensée impérialiste.

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En mai 1975, le Cambodge Démocratique est créé, Norodom Sihanouk devient officiellement le chef de l’État, mais il est cantonné dans un rôle de pure figuration. Tandis qu'un nouveau drapeau flotte au Palais-Royal ainsi que dans les camps de travail (pour les paysans) et les camps de rééducation (pour les citadins).

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Nom du pays en khmer :  កម្ពុជា ប្រជាធិបតេយ្យ se prononce,  Kampouthïr prrothïr'thipa'taye.

Nota : C'est l'exemple type de perversité politique. Afin de manipuler l'opinion publique les Occidentaux, dont les Français, décidèrent d'appeler le pays Kampouchéa Démocratique. Alors qu'en toute honnêteté, ils auraient dû, comme au temps du protectorat, traduire le nom khmer កម្ពុជា Kampouthïr par Cambodge. Ainsi, il était plus facile de faire croire que le Cambodge d'hier n'existait plus en ostracisant le pays, mais cela apporta une confusion dans l'esprit des gens, qui conservèrent en mémoire, cette appellation falsifiée.

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Quelques semaines après la victoire, le Secrétaire Général du Parti des Travailleurs du Nord-Vietnam, Lao Dong, exige une compensation des efforts de guerre fournis par le « peuple frère » pour avoir soutenu les Khmers rouges. Le Cambodge doit envoyer au Vietnam, par milliers de tonnes : le riz, le maïs, les noix de coco, le soja, le kapok, le caoutchouc ; et par milliers de têtes : les bœufs, les animaux de basse-cour, les porcs, le poisson, etc. 

En conséquence, le peuple khmer s’épuise pour le plus grand profit des Vietnamiens, et doit faire face à la plus grande famine de son histoire.

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Au même moment, Norodom Sihanouk reçoit tous les honneurs, à Paris. Le Président de la République, Giscard d’Estaing, le félicite d’avoir légitimé la victoire des Khmers Rouges auprès de l’ONU. Et, en catimini, Norodom Sihanouk le remercie pour son soutien politique et militaire...

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Le 2 avril 1976, lorsque Norodom Sihanouk revient à Phnom Penh, il doit démissionner, rendant le pouvoir au peuple. Il a accompli son rôle historique ; sans lui, la victoire n’eût pas été possible, mais après la victoire, il doit s’effacer, devenant un « hôte ordinaire ». Il est assigné à résidence surveillée, avec sa famille, au Palais-Royal.

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Alors, le peuple khmer subit les persécutions, les exécutions systématiques, et les travaux forcés... Même les jeunes enfants...

Contraints aux combats, dont la moyenne d’âge est tout au plus d’une quinzaine d’années. C’est dans cette tranche d’âge que les Khmers Rouges recrutent leurs troupes les plus fanatiques. Endoctrinés, incapables de discernement, de nuances, ces jeunes soldats sont devenus les exécuteurs des plus immondes besognes. Les petits soldats, rencontrés jusqu’alors, ne sourient jamais, ont toujours l’air grave, sont disciplinés, inquiets.

Quelle est leur vie exactement ? Doivent-ils tous poser des mines, creuser des pièges mortels emplis de bois acérés ? Doivent-ils tous combattre ? Doivent-ils tous exécuter des ordres insensés ? Quelles sont leurs angoisses, leurs peurs, que ressentent-ils ?

Petits soldat kr2Petits poseurs de mines et pie ges2 min

 

 

 

 

 

 

 

Début janvier 1979, je découvre que je suis papa d'un petit soldat khmer rouge, arraché à sa mère dès l'âge de trois ans, et le 7 janvier 1979, le Cambodge est libéré de son tyran !

Était-ce la fin de nos malheurs ?

NON ! Malheureusement. Ce fut le début de la Seconde Guerre civile, et d'un blocus de 12 ans imposé par l'ONU...

Est-ce que ma femme et mon fils survivront dans ce nouveau conflit ? Mais ceci est une autre histoire !

Nombre de victimes : 1968 - 1979

Bref, le bilan de cette période est catastrophique :

  • Les bombardements américains qui firent 700 000 victimes (1968 - 1973),
  • La première civile fit entre 300 et 400 000 victimes (1970 - 1975).
  • Le Génocide fit environ 1,7 million de victimes (17 avril 1975 - 7 janvier 1979)

 

Témoignage de Kroussar :

Pour ceux qui souhaitent découvrir ce que nous avons subi, ma famille et moi-même ; accéder aux preuves de l'implication des Occidentaux et connaître ce qui s'est vraiment passé dans l'ambassade de France en avril 1975, vous trouverez :  Mon récit GRATUIT  - Cambodge-La longue quête "ICI".

Ce roman nous plonge au cœur de secrets bien gardés et cachés depuis très longtemps par les États Occidentaux, ceux-là même qui provoquèrent un chaos de trente années au Royaume du sourire.

Selon les lecteurs : "Plus qu'un roman, c'est d'abord un témoignage bouleversant, une histoire d'amour, un récit qui surprend par la force qu'il porte, et lève le voile sur la honteuse géopolitique occidentale".

Très cordialement et amicalement, Jean-Claude dit Kroussar.

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