Dans la série de mes articles sur l'histoire du Cambodge, celui-ci est dédié à la période du Protectorat Français.
Plus exactement la période coloniale au Cambodge ; comme le mentionnent les textes en langue khmère ! Textes qui rappellent que ce ne fut pas un protectorat, mais bien une colonisation où l'emprisonnement, la déportation et les exécutions étaient monnaie courante.
Et comme toujours, voilà ce que l'on peut lire sur différents sites, notamment en parcourant Wikipédia.
Le protectorat français était le régime politique en vigueur au Cambodge à partir de 1863, quand la France (alors le Second Empire) établit sa protection sur le Royaume, alors vassal du Siam (Thaïlande). Le Cambodge est intégré en 1887 à l'Indochine française lors de la création de cette dernière. En novembre 1949, le système de protectorat laisse la place à un statut d'État associé de l'Union française, toujours au sein de la Fédération indochinoise. En 1953, pendant la guerre d'Indochine, le roi Norodom Sihanoul, proclame l'indépendance du pays, que les accords de Genève réaffirment l'année suivante.
Il y a de nombreuses informations, mais certaines manquent et d'autres nécessitent d'être précisées, voire d'être révélées.
Alors, permettez-moi de vous résumer, les dates clés du Protectorat, un peu avant sa création, jusqu'à l'indépendance du Royaume, que nous fêtons le 9 novembre de chaque année.
Une longue période me direz-vous !
Certes, mais elle permet de comprendre les divergences de points de vue entre les Français et les Khmers, et de découvrir le comportement de la France Coloniale, et la petite histoire avec sa part de lumière, et sa part d'ombre. Car sous le terme bien sympathique de Protectorat, ce fut en réalité une intervention brutale et injuste, ne laissant aucun pouvoir aux Rois Khmers.
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Ce que l'on connaît moins, ce sont les détails de l'histoire, qui sont toujours majeurs, jamais insignifiants !
Ne dit-on pas que le diable se cache dans les détails ?
Alors découvrons tous ces détails qui ont eu un impact DIABOLIQUE !
Naissance du Royaume (1431 - 1445) :
En 1431, le Prince Ponhea Yat, dernier roi de l'empire khmer, est chassé d'Angkor par les Siam (Thaïs). C'est le début de la décadence d'Angkor, qui est abandonné définitivement l'année suivante... Seuls quelques bonzes restent dans les temples d'Angkor Wat et d'Angkor Thom.
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En 1445, le Prince Ponhea Yat parvient à chasser l'usurpateur siamois d'une partie du pays. Il s'installe à Chaktomuk (ចតុ មុខ se prononce Tïato = quatre et Mouk = visages), là où se rencontrent les bras du Mékong, du Tonlé Sap et du Tonlé Bassac. (où situe l'actuel Palais royal de Phnom Penh). Là également où la légende de Madame Penh prit naissance.
Il fut le tout premier roi du Royaume du Cambodge qu'il créa vers 1445, avec le nom officiel ព្រះ រាជាណាចក្រ កម្ពុជា (romanisé en Preah Rerthirnacha Kampuchea), se prononçant : Prrèr Rrirthïr'natïa Kampouthïr. Intégrant le nom "Kampouthïr", en l'honneur des descendants de "Kambu", première branche khmère venue du sud de l'Inde.
Nota 1 : Preah Rerthirnacha Kampuchea, fut traduit en français par : Royaume du Cambodge.
Nota 2 : Une vielle légende, datant de l'Empire Khmer, dit qu'une dame appelée "Daun Penh" (Grand-mère Penh), une riche veuve, vivait dans le village de Chaktomuk, ce qui se traduit par les "Quatre visages" en raison de son emplacement, au croisement des qatre fleuves. Les terres se situaient à la jonction de quatre bras du haut et du bas Mékong, du Tonlé Sap et du Tonlé Bassac. Un jour, lors d'une crue du Mékong, un arbre a flotté jusqu'à son jardin. Madame Penh avait prévu de l'utiliser comme bois de chauffage, mais elle remarqua qu'il était creux et, à l'intérieur de l'arbre, elle y trouva quatre statues de Bouddha en bronze. Elle y a vu le signe que le Bouddha voulait une nouvelle maison. Avec les villageois, Madame Penh décida alors de construire un temple. Elle fit construire une petite colline et un petit sanctuaire en son sommet, afin d'y préserver les statues sacrées. Petite colline, que l'on connait aujourd'hui sous le nom de Wat Phnom.
Le village s'est agrandi, il est connu aujourd'hui sous le nom Daun Penh ou Phnom Penh qui signifie "Colline de Grand-mère Penh", (les deux noms sont toujours en vigueur).
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Dominations du Siam et de l'Annam (1445 - 1860):
Durant trois siècles (du XVe auXVIIIe) le royaume subit sans cesse les attaques de ses voisins Siamois et Annamites. Tantôt sous la tutelle des Siamois, tantôt sous la tutelle des Annamites... En fait, les discordes internes restent la règle et les différents prétendants, au trône du Royaume, n'hésitent pas à rechercher l'appui des puissances voisines et à susciter l’intervention d’armées étrangères. Au début du XVIe siècle, le Cambodge devient vassal du royaume siamois, mais à partir du XVIIe siècle, le Vietnam commence à apparaître comme une puissance montante que les Khmers utilisent comme contrepoids pour réduire la domination siamoise. En 1794, le Siam annexe les provinces de Batdambang et de Siem Reap.
Nota 1 : Batdambang est le vrai nom khmer បាត់ ដំបង (បាត់Bat= perdre / ដំបងDâmbang = bâton) dont le sens correspond à "bâton perdu".
Nota 2 : Siem Reap signifie, "repousser les Siams", c'est le nom qui fut donné à la plaine où eut lieu les combats sanglants terrestres et navals contre les Siam entre 1178 et 1181. (Siem = Siam, se prononce Sïrm សៀម en khmer / Reap se prononce Rrirpរាប = aplatir/repousser). Malheureusement, les guerres continuèrent...
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Au XIXe siècle, le Royaume du Cambodge vit toujours sous la tutelle du Siam. Par ailleurs, l'influence de l'empire d'Annam est toujours très prégnante, et menace le pays de dépècement, à la suite de la guerre entre le Vietnam et le Cambodge (1813-1845).
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En 1847, le roi Ang Duong règne sur le Royaume du Cambodge. Comme d'autres rois et reines avant lui, il rêve d'administrer seul son pays. Bien qu'il soit reconnu Roi par le Siam, il souhaite s’affranchir de la tutelle du Siam, qui voulait régir à sa place. Il tente alors de se rapprocher des puissances européennes ; dont certaines souhaitent prendre pied dans la région. Il s'adresse à Napoléon III, nouvel empereur des Français à qui il propose une alliance, sans succès.
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Du Protectorat à l'Indépendance (1863 - 1953) :
En 1863, le roi Norodom Ier, intronisé en 1860, cherche un moyen pour sortir de l'étau formé par ses deux voisins. Comme son père, il veut s'affranchir de l'influence du Siam et de l'Annam, et demande la protection de la France. Cette fois, Napoléon III accepte. Ils signent un accord, qui établit un protectorat sur le royaume et intègre progressivement le pays dans l'empire colonial. Conformément à la convention signée à Oudong, le roi s'interdit toute relation avec une puissance étrangère sans l'accord de la France. Le Cambodge est sous la direction d'un résident-général, nommé par le gouvernement français, qui veille à la bonne exécution du traité. Ne laissant aux Khmers que peu de prérogatives et aucun pouvoir décisionnels sur la gestion du royaume ; tout était dicté. De plus, l'administration coloniale domine et opprime, en s'appuyant sur les Annamites qui se chargent de la répression.
Nota 1 : La mainmise de la France sur le Cambodge s’inscrivait dans le processus de colonisation de trois pays, Vietnam, Laos et Cambodge. L’enjeu du déploiement colonial en péninsule indochinoise, pour les Français, était principalement commercial et stratégique : ouvrir des voies d’accès vers les marchés de la Chine méridionale via le fleuve Mékong, en faisant de l’estuaire du Mékong de véritables ports commerciaux.
Nota 2 : Le traité de Protectorat est signé officiellement en avril 1864.
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Au tout début du protectorat, un drapeau est imposé par les Français, il devient le symbole du "Cambodge Période Coloniale" pour les uns, et du "Protectorat français pour les autres".
Nota 1 : Il est constitué d'une bande rouge horizontale entourée de bandes bleues. Au centre, en blanc, une représentation du temple d'Angkor Wat. Les Français influencèrent la conception du drapeau, puisqu'ils le reconnurent comme symbole du Protectorat Français du Cambodge.
Nota 2 : apparemment, les Khmers et les Français ne partagent pas la même vision du nom du pays. Les Khmers le nomment កម្ពុជា សម័យអាណានិគម (latinisé : kampouchea samyananikom) se prononce : Kampouthïr samaye'ananikoum, ce qui correspond à Cambodge Période Coloniale.
Alors que les Français traduisent le nom khmer en : Protectorat Français du Cambodge !
Bref, comment voulez-vous que deux peuples se comprennent, avec tant de distorsion dans la traduction !Pour les Khmers, les Français ne sont que des colonisateurs, qui se comportent d'ailleurs comme tels ! Pour les Français, ce n'est que dans un but de protection !!! Ce qui est faux, puisque leur préoccupation est de coloniser toute l'indochine (Tonkin, Annam, Cochinchine, Laos et Cambodge).
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À l'aube du 17 juin 1884, le palais du roi est envahi par des troupes françaises, mettant leurs baïonnettes sur la gorge du Roi Norodom Ier, menaçant de l'enlever, de le déporter... C'est par un coup de force, que le gouverneur de Cochinchine, Charles Thomson, alléguant que le roi aurait manqué de respect à la République lors d'une audience antérieure. Il ordonne au roi de signer, dans la demi-heure, un nouveau traité qui renforce le protectorat en donnant la gestion des affaires intérieures aux Français.
Malgré les protestations du roi adressé au président de la République Française, le traité, qui transforme le protectorat du Cambodge en colonie de fait, est ratifié par le gouvernement français.
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Le 7 janvier 1885, une révolte éclate : des partisans du prince Si Votha, demi-frère du roi Norodom et lui-même prétendant à la couronne, attaquent les Français dans le district de Sambor. La rébellion s'étend bientôt à tout le pays, tenant les forêts et les rizières. Le port de Kampot est tenu par les rebelles, qui y pillent le télégraphe et l'entrepôt d'opium. Les Français, qui doivent dans le même temps gérer en Annam la dissidence de l'empereur Hàm Nghi, mènent une politique de répression implacable. Devant les difficultés, les Français négocient en 1886 un nouvel accord avec le roi Norodom Ier, qui récupère une partie de ses pouvoirs et appelle les insurgés à déposer les armes, puis s'emploie à pacifier le pays.
Dès lors, les fonctionnaires khmers ne jouèrent plus aucun rôle important dans la gestion du pays. L’administration était devenue un paravent servant les intérêts de la France. Et les réformes imposées n’avaient pas vocation à « moderniser » les institutions politiques du pays afin d’accroître leur efficacité. NON !
Bien au contraire, le but était d'accroître le contrôle administratif et fiscal sur la population et non l’émancipation de celle-ci.
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En 1887, le Cambodge est intégré à l'Indochine française lors de la création de cette dernière, mais rien ne change. Mandarins et Annamites règnent en maître au service des colons ; ces derniers opprimant le bon peuple Khmer. Pendant que le roi Norodom Ier perd le peu de pouvoir qu'il lui restait.
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En 1897, c'est également par la menace et par l'emploi de la force, moins brutalement, mais tout aussi impitoyablement, que M. Paul Doumer, gouverneur général de l'Indochine française, a détruit tout ce qui restait au Roi : de pouvoirs administratifs, de droits économiques et de possession territoriale du royaume.
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En 1900, le Prince Norodom Yukanthor se rend à l'exposition universelle à Paris. Il est mandaté par son père, le Roi Norodom Ier qui, souffrant, n'a pu honorer l'invitation du gouvernement français. le Prince Norodom Yukanthor présente les lettres de doléances et critiques de son père contre l’administration coloniale. Et c'est en ces termes qu'il s'adresse au président de la République et aux ministres :
S.M. Norodom, Roi du Cambodge et mon père, en m'envoyant en France, comme prince hériter et son représentant, m'a prié de porter son salut à M. le Président de la République et aux membres du Gouvernement français.
J'ai remis à M. le Président de la République, à M. le ministre des Colonies et à M. le ministre de la Marine les lettres dans lesquelles Sa Majesté a tenu à renouveler l'expression du loyalisme qui l'anime à l'égard de la France, dont il est souverain protégé.
L'accueil bienveillant que j'ai reçu, les distinctions dont j'ai été l'objet ici, contrastent tellement avec la politique dont nous sommes les victimes au Cambodge, que je n'hésite pas à ouvrir mon cœur et à ajouter au salut du Roi mon père, sa plainte. D'autant plus que des événements récents et les lettres que j'ai reçues du Cambodge, par dernier courrier, m'en font un devoir.
Ce n'est pas à moi à refaire l'histoire de l'établissement du protectorat français au Cambodge. Toutes les pièces en sont au ministère des Affaires étrangères et au ministère des Colonies. Elles montrent par quelle progression, de simple protectorat demandé et accordé au début, l'action de la France est devenue aujourd'hui une administration complète, absolue, plus étroite qu'en un pays de conquête.
Le Gouvernement français ne sait pas, sans doute, comment l'administration coloniale a obtenu ses pouvoirs qui, en 1884 et en 1897, ont marqué les phases principales de l'abdication des pouvoirs royaux entre les mains des agents du Protectorat...
Il rappela les événements sus-cités, citant les coups de forces de Charles Thomson en 1884 et Paul Doumer 1897, puis enchaîna :
Si de cette suppression progressive des pouvoirs royaux un bien quelconque en résultait pour notre peuple, nous nous garderions bien de protester. Notre dynastie, qui règne depuis plus de trois mille ans, n'a jamais voulu que le bonheur de son peuple.
Mais, le Khmer libre sous l'autorité absolue du roi, est devenu un esclave dans la liberté de vos administrateurs.
Pour libérer le peuple de notre domination, qu'ils considéraient comme oppressive, vos résidents et vos gouverneurs l'ont placé sous l'autorité directe de vos agents. Il en est résulté pour les petits et les grands la véritable oppression.
Aux autorités d'origine royale, légales, régulières, se substituent d'innombrables autorités au côté du résident de province, du sous-agent de tout ordre. Le peuple souffre également du transfert de la propriété territoriale à la Résidence supérieure. Auparavant, toute la terre du royaume appartenait de droit au Roi. De fait, elle appartenait à qui l'occupait, à qui la cultivait. Cela était une conséquence des devoirs imposés au trône par la loi bouddhiste : la terre de Dieu, commise en garde au Roi, laissée par lui à la disposition de tout homme en ayant besoin. Et cela sans restriction d'aucune sorte. Vous avez établi la propriété. Vous avez donné de grandes concessions. Du coup, vous avez créé des pauvres. Du coup, vous obligez des Khmers à payer pour jouir de la terre dont la loi royale leur abandonnait autrefois gratuitement l'usage.
Voici, rappelé, ce qui montre à quel point va l'arbitraire dont nous sommes victimes.
Ces suppressions arbitraires - l'exil, le bagne et quelquefois la décapitation - s'appellent des mesures politiques. La vengeance des ennemis du Roi, la folie des résidents supérieurs quand ils sont sous l'influence de l'alcool, de l'opium ou des conseils de leurs maîtresses et de leurs secrétaires indigènes, ont répandu sur mon peuple beaucoup de terreur. Quand on se plaint, il y va de sa liberté, sinon de sa tête.
Moi-même, quand il fut question que mon père m'enverrait en France, j'ai été menacé d'arrestation, car M. Louis Paul Luce, nouveau résident supérieur, pensait bien qu'ici, en France, je crierais la vérité et que peut-être elle serait entendue.
Car au Cambodge aujourd'hui toute plainte est vaine et n'a pour résultat que d'augmenter l'oppression. Tous les abus que je vous signale ont été dénoncés à l'autorité supérieure qui n'a rien fait, que de les augmenter.
Ainsi, quand vous ferez une enquête, car il est impossible que vous ne l'ordonniez pas, si vous voulez que les opprimés aient le courage de parler, il faudra d'abord leur avoir fait comprendre par un acte, que de parler ne les exposera plus aux vengeances de la Résidence supérieure.
Alors vous apprendrez des vérités encore plus terribles que celles que je vous dénonce aujourd'hui.
Cette visite fait scandale, d'abord parce qu'un colonisé ose se plaindre du colonisateur, ensuite parce que l'opinion publique découvre les procédés abusifs de l'administration en Indochine. Mais en Indochine rien ne changea !
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En 1904, le roi Sisowath succède à son frère (Norodom Ier). Il accède au trône grâce à la pression de la France, qui ne souhaitait pas que les fils de Norodom succèdent à leur père. Les précédentes relations tumultueuses entre Norodom Ieret les autorités coloniales ont fortement déplu, notamment, la visite du prince NorodomYukanthor en visite officielle à Paris, en juillet 1900.
Nota : Point positif, en 1907, les provinces d'Angkor et de Batdambang (annexées en 1794) sont rétrocédées au Royaume, grâce à la pression de la France sur le Siam (Thaïlande depuis 1939).
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En 1927, le roi Sisowath-Monivong succéde à son père (Sisowath). Il reçoit une formation militaire en France de 1906 à 1908, il sort Sous-Lieutenant de l'École de Saint-Maixent, et sert dans la légion jusqu'à son règne.
Comme son père, il doit s'effacer devant l'arrogance de l’administration coloniale, où l’essentiel du pouvoir est entre les mains du résident général. C’est sous son règne que le Cambodge s’ouvre aux influences communistes extérieures. Notamment, lorsque Hô Chi Minh fonde le Parti communiste indochinois, qui devient très vite populaire au Cambodge. Les premiers communistes khmers ont comme objectif principal de chasser les Français.
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Lorsqu’en 1929, l’économie indochinoise s’écroula, le peuple affamé, ruiné, tenta de se révolter. Malheureusement, il fut réprimé par les Annamites aux ordres de l’Empire colonial.
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Entre 1930 et 1931, la rébellion se renforce, elle est durement réprimée par l'autorité coloniale, engendrant des milliers d'emprisonnements, d'humiliations, d'exécutions et de déportations.
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En mai 1931, dans le journal "Le Populaire", alors que le Tout-Paris accourt au bois de Vincennes admirer les pavillons de l’exposition coloniale internationale, Léon Blum tente d’interpeller l’opinion publique : "Ici, nous reconstituons le merveilleux temple d’Angkor, nous faisons tourner les Apsaras, ces danseuses sacrées, mais, en Indochine, on fusille, on déporte, on emprisonne…".
De fait, le 17 mai 1931, en mer de Chine, le vapeur, français,"La Martinière" quitte l’Indochine dans la plus grande indifférence. Dans ses cales : 400 Khmers et 138 Vietnamiens, âgés de 18 à 40 ans, envoyés au bagne de Crique Anguille, en Guyane, où l'espérance de vie ne dépasse pas l'année.
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Début 1940, la France de Vichy, alliée des nazis, peine à collecter les impôts dans ses colonies. Au Royaume khmer, de nombreuses ethnies se révoltent, refusant de payer l’impôt et de se soumettre aux coups de triques de l’administration coloniale. Leur rébellion est durement réprimée par la milice Annamite aux ordres des Français, bilan des centaines de morts.
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En 1940, le mouvement indépendantiste des Khmers Issarak est né (en khmer : ខ្មែរ ឥស្សរៈ se prononce Khmê Ey'sa'rrä ; littéralement Khmers indépendants ou Khmers libres).
Les forces du mouvement, fondé à Bangkok, sont soutenues par le gouvernement thaïlandais. En échange, les Khmers Issarak constituent des groupes de guérilla qui harcèlent les avant-postes français dans le cadre du conflit territorial avec l'Indochine française. La guerre franco-thaïlandaise, d'octobre 1940 à janvier 1941, aboutit à une nouvelle annexion, par la Thaïlande, des territoires de Batdambang et de Siem Reap. (Bis repetita).
Au fil du temps, Les Khmers Issarak sont moins actifs et se divisent en plusieurs groupes indépendantistes distincts : "non-communistes", soutenus par la Thaïlande ; et "communistes" formés et armés par les Viêt-Minh, qui souhaitent développer l'activité de guérilla au Cambodge pour en faire une « région de soutien logistique » à la guérilla en territoire sud-vietnamien.
Nota : Viet-Minh = contraction de Việt Nam độc lập đồng minh (Front pour l'indépendance du Viêt-nam).
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En juin 1940, le gouvernement japonais profite de la défaite française en Europe pour adresser un ultimatum aux Français d'Indochine. Trois divisions de l'armée japonaise font pression sur la frontière tonkinoise.
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Le 25 septembre 1940, dans le contexte de la seconde guerre sino-japonaise, les Japonais soumettent les troupes françaises d'Indochine, mais laissent en place l'administration coloniale et le gouverneur général nommé par le gouvernement de Vichy. Le commandement japonais n’a ni le désir ni les moyens d’assurer lui-même l’administration de l'Indochine et l'occupe seulement comme base de départ pour l’offensive contre les Philippines, la Malaisie et la Birmanie à travers la Thaïlande afin de priver la Chine méridionale de la voie de ravitaillement par le chemin de fer du Yunnan.
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Le 24 avril 1941, à l'âge de 18 ans, Norodom Sihanouk est nommé le roi du Cambodge.
Bien que Sisowath-Monireth (fils de Sisowath-Monivong), apparût comme l’héritier naturel au trône, les autorités françaises lui préférèrent le Prince Norodom Sihanouk. L’administration coloniale espérait que le jeune prince soit plus docile que son oncle. Ils se trompèrent, Norodom-Sihanouk, après quelques pas de danse imposés, entre en croisade pour l'indépendance, d'abord timidement, puis plus vigoureusement au fil des années.
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Début mars 1945, après plus de quatre ans de coexistence franco-japonaise en Indochine, les Japonais craignent une réaction de l'armée française sur le territoire indochinois. Les Japonais réalisent un coup de force, en éliminant l’armée et l’administration coloniales françaises de toute l’Indochine. Ils portent ainsi un coup fatal à la présence coloniale de la France dans le Sud-est asiatique.
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Mi-mars 1945, bien qu'étant sous la tutelle des Japonais, le jeune Monarque, Norodom Sihanouk, proclame l’indépendance du pays. Norodom Sihanouk crée un poste de Premier ministre, prenant lui-même la tête du gouvernement. Le Cambodge s'inscrit dans la sphère de la Grande Asie orientale. Qui est un concept politique développé pour créer, au seul bénéfice de l'empire du Japon, un bloc auto-suffisant des pays asiatiques occupés et dirigés par lui et ne dépendant pas des pays occidentaux. Mais le roi Norodom Sihanouk s'abstient néanmoins de trop s'engager dans la collaboration avec les Japonais.
Le pays s'appelle alors : Cambodge, tout simplement. En khmer កម្ពុជា (Latinisé kampuchea ; se prononce Kampouthïr.).
Et un nouveau drapeau flamboie dans la capitale !
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Le 16 juillet 1945, dans le plus grand secret et directement sous les ordres du Président Harry Truman, le croiseur USS Indianapolis quitte San Francisco. Il navigue sans escorte pour ne pas éveiller l'attention des Japonais, et fait route vers la base aérienne américaine de Tinian (l'une des trois îles principales du Commonwealth des îles Mariannes du Nord). Le 26 juillet 1945, il arrive à destination et livre les deux bombes atomiques, Little Boy et Fat Man, contenues dans ses cales.
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Le 30 juillet 1945, le croiseur USS Indianapolis, toujours sans escorte et de plus en plus vulnérable, fait route vers les Philippines. Il est torpillé par un sous-marin de la marine impériale japonaise. Il coule en douze minutes, emportant avec lui environ 300 des 1195 membres d'équipage. Les 900 survivants doivent alors affronter l'hypothermie, la déshydratation et des attaques de requins alors qu'ils attendent de l'aide sur de frêles embarcations de sauvetage. Mais comme l'opération est secrète, l'amirauté américaine fait preuve d'une grande incompétence quant à la prise en compte des appels de détresse du navire en perdition. Quatre jours plus tard, ils sont repérés par l'équipage d'un avion en patrouille de routine ; seuls 317 marins survivent à ce naufrage.
Nota : comme toujours le gouvernement américain cacha cette désastreuse mission secrète et nia ses responsabilités, tout en faisant accuser le commandant McVay d'être coupable du naufrage de son navire. Le procès du commandant McVay se déroula en novembre 1945. Il est alors le seul commandant d'un navire de guerre américain à être traduit en cour martiale pour négligence ayant entraîné la perte de son navire en temps de guerre. Ce verdict le rongea toute sa vie, et il finit par se suicider en 1968. Il fut réhabilité en 2000 par le Président Bill Clinton.
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Le 6 août 1945, le B-29 "Enola Gay" de l'US Air Force largue la bombe atomique, Little boy, sur la ville japonaise de Hiroshima, tuant plus de 80 000 personnes instantanément et ravageant la ville.
Le 9 août 1945, le B-29 "Bockscar" de l'US Air Force largue une autre bombe atomique, Fat man, dont les effets encore plus dévastateurs s'abattent sur Nagasaki, tuant 74 000 personnes instantanément et soufflant la ville.
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Le 10 août 1945, le leader communiste-nationaliste Hô Chi Minh dénonce la tutelle japonaise et proclame l'indépendance de la République démocratique du Vietnam. Les Viêt-minh sont au cœur de la lutte contre l'occupant japonais en Indochine.
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Le 2 septembre 1945, le jour de la capitulation du Japon, la France, au titre de son projet de « reconquête coloniale », occupe à nouveau le Cambodge, l'Annam et le Tonkin,sans respecter les indépendances autoproclamées quelques mois plus tôt, qu'elle ne reconnaît pas.
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Octobre 1945, l'empire colonial Français exige le retour drapeau qu'il imposa au Cambodge, au début protectorat...
Et que le pays reprenne également le nom précédent : កម្ពុជា សម័យអាណានិគម (latinisé : kampouchea samyananikom) se prononceKampouthïr samaye'ananikoum, ce qui correspond à Cambodge période Coloniale.
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En 1945, le Parti Communiste Indochinois (PCI), bien que dissous officiellement, accroît ses efforts afin de renforcer le recrutement et la formation de cadres au Cambodge (Khmers Issarak) et au Laos (Pathet Lao) qui sont censés ravitailler et fournir des refuges dans la lutte au Vietnam contre les Français. C'est le début de la guerre d'Indochine (selon les Français) connue également comme la guerre de résistance anti-française (selon les Vietnamiens)
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En novembre 1946, l’affaire de Haïphong éclate. Le bombardement du port par l'artillerie de l'Armée de terre française, et ses trop nombreuses victimes civiles, incitent lesViêt-minh à renforcer leur lutte contre les Français.
Avec l'expérience acquise au combat contre les Japonais, les Viêt-minh infligent une série de revers aux troupes françaises dans la haute région de Cao Bang et Lang Son. Le projet initial de « reconquête coloniale » s'épuise dans un interminable enlisement. Malgré la propagande et la censure, une partie de l'opinion française s'oppose à la guerre, dont les enjeux sont de moins en moins clairs ; puisque le Viêt Nam, le Laos et le Cambodge sont devenus indépendants (au moins en théorie).
Quelques mois plus tard, la « reconquête coloniale » est abandonnée. Mais les troupes françaises restent au Vietnam et au Cambodge afin de défendre de sombres intérêts coloniaux.
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En 1946,d’intenses luttes politiques entre le roi et le pouvoir législatif persistent. L'administration coloniale décide de parfaire la formation du monarque en l’envoyant, à l’école d'application de l'arme blindée et de la cavalerie de Saumur.
Curieux, cette volonté de la France de faire en sorte que les Rois Khmers deviennent de parfaits soldats obéissants, et non des hommes d'État !
Par contre, elle reconnaît le Cambodge comme un royaume autonome au sein de l'Union française en Indochine. Les Khmers ne sont plus considérés comme Indigènes et, en théorie, reçoivent le statut de citoyens de l'Union.
Un nouveau drapeau flotte sur la marmite ! Selon les sources, il aurait été également dessiné par les Français, mais chute...
Le pays reprend son nom d'origine, et redevient à nouveau Royaume du Cambodge, en Khmerព្រះ រាជាណាចក្រ កម្ពុជា (romanisé en Preah Rerthirnacha Kampuchea), se prononçant : Prrèr Rrirthïr'natïa Kampouthïr.
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En 1947, les provinces de Batdambang et de Siem Reap sont finalement restituées au Cambodge.
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En novembre 1949, le système de protectorat au Cambodge laisse la place à un statut d'État associé de l'Union française, toujours au sein de la Fédération indochinoise, mais la relation de maître à exécutant, est toujours bien présente. C'est alors que l'influence des communistes Vietnamiens se fait de plus en pesante.
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En 1950, la guerre d'Indochine entre dans sa quatrième année et les différents pays de la péninsule Indochinoise attirent les millions de dollars de l’aide économique et militaire américaine. Washington fournit, jusqu’en 1954, 80 % des fonds dont les Français ont besoin pour poursuivre leurs hostilités. De son côté, la Chine pourvoit les Viêt Minh en armement et formation, afin d’en faire une vraie force militaire.
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En 1951, sous l'influence croissante des Viêt-Minh, le Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer est créé, dont l'existence demeure clandestine. Il constitue désormais l'organe dirigeant du Front uni Issarak.
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Le 13 janvier 1953, l'obstruction systématique entretenue à l'Assemblée par la majorité démocrate à l'encontre des mesures de salut public préconisées par le gouvernement, en faveur de la présence française au Cambodge, et suite à un attentat commis au lycée Sisowath, à Phnom-Penh, le roi Norodom Sihanoukdissout l’Assemblée nationale et décrète la loi martiale. Dans l’espoir d’éviter un conflit, Norodom Sihanouk entreprend des négociations avec Paris afin d’obtenir une indépendance totale.
Après plusieurs refus, le roi accentue la pression, optant même pour un exil volontaire. La France ne cède pas et refuse toujours d'accorder l'indépendance au Royaume khmer, car cela lui permet d'avoir des bases de repli pour sa sale guerre d'Indochine.
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Le 3 juillet 1953, les discussions reprennent, car la France veut concentrer toutes ses troupes au Nord-Vietnam, et ne souhaite plus protéger le Cambodge.
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Le 9 novembre 1953, les négociations aboutissent, et Norodom Sihanouk annonce officiellement l'indépendance totale du pays, et le retour à la monarchie constitutionnelle. Sur le plan international, l'indépendance est reconnue et renforcée le 21 juillet 1954 lors de la conférence de Genève, où l'on prévoit notamment le retrait de toutes les forces étrangères du pays.
Guerre d'Indochine & début du chaos :
Du XVe au XIXe siècle, le Royaume du Cambodge vécut un premier âge sombre, luttant contre ses ennemis héréditaires, les Siamois et Annamites. Mais la fin de la guerre d'Indochine devient, probablement, le déclencheur d'une seconde période encore plus sombre.
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Entre le 13 mars et le 7 mai 1954, la bataille de Diên Biên Phu constitue l'affrontement décisif de l'opération française en Indochine. La victoire des forces des Viêt-Minh, commandées par le général Giáp, contre le corps expéditionnaire français, entraîne la chute de la ville et de la plaine environnante. Et contribue à accélérer les négociations engagées à Genève pour le règlement des conflits en Asie (Corée et Indochine). C'est le dernier affrontement majeur de la guerre d'Indochine.
La diplomatie américaine, présente à Genève, en juillet 1954, impose la séparation du Vietnam en deux États :
l’un au nord du 17e parallèle, la République démocratique du Viêt Nam, ou "Nord-Vietnam",communiste, qui reste sous l'influence de l'Union soviétique et de la Chine ;
l’autre au sud du 17e parallèle, la République du Viêt Nam, ou "Sud-Vietnam" régime anticommuniste et capitaliste, qui devient, de facto, sous l'influence des États-Unis, dont Washington se doit de défendre.
Mais les États-Unis refusent de signer la déclaration finale ! Alors, libre de toutes contraintes, les Américains installent leurs nombreuses bases militaires au Sud-Vietnam...
Les accords de Genève signés, la France quitte la partie nord du Viêt Nam. Les nouveaux pays influents dans la péninsule Indochinoise sont, désormais, les États-Unis, la Chine, et l'Union soviétique (URSS).
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Le 2 mars 1955, Norodom Sihanouk s’aperçoit rapidement que sa fonction de roi est honorifique et ne lui donne pas les moyens de diriger le pays. Il abdique en faveur de son père, Norodom-Suramarith, afin de fonder un parti politique, le Sangkum Reastr Niyum. Ce qui permet à Norodom Sihanouk de diriger le royaume du Cambodge, en tant que Premier ministre.
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Norodom-Suramarith règne de 1955 jusqu'à sa mort le 3 avril 1960.
Tout de suite après ce décès, sachant que la succession ne peut être réglée rapidement, Norodom Sihanouk persuade son oncle, le Prince Sisowath Monireth, de diriger un conseil de régence en attendant la désignation d’un nouveau monarque.
Norodom Sihanouk n’est pas désireux de remonter sur le trône et ne voit personne en qui il peut avoir suffisamment confiance pour le laisser prendre la couronne. Une possibilité, appuyée par le Prince Sisowath Monireth, est de choisir la reine Sisowath Kossamak, veuve du roi défunt. Elle n’a alors que 53 ans, et a un sens aiguisé de la politique. Toutefois, la constitution doit être modifiée afin de permettre à une femme de régner. Et Norodom Sihanouk est réticent à laisser la couronne à sa mère. Outre l’opposition de la reine à la liaison de longue date de son fils avec Monique Izzi, qui n’est un secret pour personne, le prince semble vouloir échapper à l'influence de sa mère, ou au moins la limiter, plutôt que de la renforcer en la laissant régner.
Norodom Sihanouk, quant à lui, refuse de redevenir Premier ministre. Il propose cinq noms, tous déclinent l’offre.
La seule fonction qu'il accepte, est celle de Chef d'État, s'ensuit un simulacre de référendum et la constitution est modifiée, un article est ajouté, autorisant l’assemblée à « conférer les pouvoirs et prérogatives de chef de l’État à une personnalité incontestée par le suffrage général de la nation ». Le tour est joué !
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Le 20 juin 1960, Norodom Sihanouk devint Chef de l’État.
Et la reine Sisowath-Kossamak continue d'incarner la monarchie d'un royaume sans roi.
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Ainsi, les Khmers et les Vietnamiens, ennemis héréditaires, ne savent pas encore que leur destin commun est définitivement scellé dans ce qui va devenir la guerre du Vietnam.
C'est le début des bombardements américains entrainant la première guerre civile qui aboutira au génocide.