En 1966, des députés communistes sont nommés, par Norodom Sihanouk, à des postes ministériels : Hou Youn, Khieu Samphan, Hu Nim. Bien que nommés, ils sont menacés par les hommes du prince, parfois battus et emprisonnés. Et les éléments de droite en place au gouvernement ne cessent de les humiliés. ils abandonnent leurs fonctions en 1967 et 1968 pour se réfugier dans le maquis.
Progressivement, Norodom Sihanouk doit faire face au mécontentement des citadins. Notamment à partir de 1968, concernant le ravitaillement des Viets-Congs en riz, et l’implantation de leurs bases dans l'est du pays, principalement dans les plantations d'Hévéas (les villages situés entre les communes de Chup jusqu'à Menot, et le long du Mékong) ; leur permettant de se ravitailler, en armement et en munitions, afin de combattre au Sud-Vietnam.
Nota : en rouge, la piste Hô Chi Minh / en vert, les pistes de ravitaillement des Viêt-Cong et des Khmers rouges à partir du port de Sihanoukville.
Les finances nationales sont au plus bas, les rizières sont détruites par les bombardements américains, et la population peine à se nourrir.
Une révolte gronde autour de la présence vietnamienne sur le territoire.
Le 17 mars 1970, alors que Norodom Sihanouk est en déplacement à l’étranger (Paris, Moscou et Pékin), des proches du gouvernement de Lon Nol, alors Premier ministre, ont délibérément incité la jeunesse khmère à se révolter contre la présence des civils Vietnamiens sur le territoire, entraînant des troubles violents, faisant des milliers de victimes. À l'issue de ce pogrom, les corps de centaines de Vietnamiens dérivent sur le Mékong vers le Sud Vietnam.
Le soir même, Lon Nol convoque quatre de ses ministres – Sirik Matak, Op Kim Ang, Chhan Sokhum, Un Trâmuch – pour comprendre l’origine de cette révolte. Les quatre ministres profitent de cette rencontre pour demander la révocation du chef de l’État, Norodom Sihanouk. Qu'ils considèrent comme trop conciliant avec les Vietnamiens.
Ainsi, dès l’aube, le 18 mars 1970, les troupes gouvernementales investissent la capitale, et l’aéroport de Phnom Penh est fermé. L’Assemblée nationale, réunie au petit matin, traite d'abord les affaires courantes. Vers 11 heures, les députés sont invités à discuter du «cas Norodom Sihanouk», puis à voter la destitution de sa fonction de Chef d'État.
Cheng Heng, alors président de l'Assemblée nationale, est nommé chef de l'État par intérim, tandis que Lon Nol, en tant que Premier ministre, est investi de pouvoirs d'urgence, alors que Sirik Matak conserve son poste de vice-Premier ministre. Le nouveau gouvernement affirme que le transfert du pouvoir est tout à fait légal et constitutionnel, alors que Norodom Sihanouk, en colère, crie le contraire.
Le nouveau régime, de droite, nationaliste, anticommunistes, anti-vietnamiens et pro-américain, stoppe toute coopération clandestine avec le régime nord-vietnamien et le Viêt-Congs, et apporte, au contraire, son soutien aux Américains dans le cadre de la guerre du Viêt Nam.
----
À son arrivée à Pékin, le 20 mars 1970, Norodom Sihanouk est accueilli par Zhou Enlai. Norodom Sihanouk est conviée à une entrevue avec les dirigeants chinois. Ils lui promettent un soutien total de son pays s'il accepte d’engager le combat contre l’impérialisme ; ils lui accordent un délai de 24 heures pour réfléchir à la proposition.
En urgence, les dirigeants chinois invitent, à Pékin, le Premier ministre du Nord-Vietnam, Phạm Văn Đồng. Norodom Sihanouk le rencontre en présence de Zhou Enlai. Ils concluent une alliance tripartite (Chine - Vietnam - Cambodge) qui avalise l’acheminement de l’aide chinoise à la résistance khmère, et l’entraînement au Vietnam des troupes (Viêt-Congs et Khmers rouges) de cette nouvelle coalition.
----
Le 23 mars 1970, Norodom Sihanouk, depuis Pékin, lance son appel aux armes. L'allocution radiodiffusée appelle le peuple Khmer à la résistance. Il demande à ses « enfants » de ne pas se soumettre aux lois de Phnom Penh, et à rejoindre l'armée révolutionnaire pour combattre les troupes de Lon Nol, l'usurpateur.
Il annonce également la création du Front National Unifié du Cambodge, doté d'une armée nationale de libération. Légitimant, de fait, les Khmers rouges comme principal bras armé de Norodom Sihanouk.
Le Gouvernement Royal d'Union National du Cambodge en exil est créé. Norodom Sihanouk assure la fonction de Chef d'État en exil et Khieu Samphân devient Premier ministre-adjoint, Ministre de la Défense et commandant suprême de l’armée révolutionnaire.
Norodom Sihanouk sauve la face en prenant la tête du front de résistance, permettant aux forces révolutionnaires de croître dans des proportions qu’elles n’auraient jamais pu espérer.
Si l’appel a peu de répercussions dans les villes, il n'en est pas de même des campagnes où la révolte gronde. Des manifestations et des émeutes ont également lieu, principalement dans les zones contiguës à celles contrôlées par les Vietnamiens (toute la partie Est du royaume).
----
Dans la nuit du 26 mars, à Kampong Cham, des milliers de paysans détournent des bus – parfois avec leurs passagers – et des camions des plantations d'hévéas, pour se rendre à Phnom Penh, afin de manifester leur soutien à Norodom Sihanouk.
Ils sont arrêtés aux abords de la capitale par des miliciens qui ouvrirent le feu. La foule en colère tue l'un des frères du Premier ministre, Lon Nol. Les paysans commencent alors à marcher sur la capitale, exigeant la restauration de Norodom Sihanouk à la tête de l'État. Ils sont durement réprimés dès leur entrée dans la capitale, et dispersés par l’armée de Lon Nol qui a reçu l’ordre de tirer sur la foule.
L’affrontement, d’une violence extrême, fait de nombreuses victimes. Et la nouvelle se répand dans tout le pays : « Les paysans offraient leur poitrine aux balles des soldats de Lon Nol. À leur cou pendait l’effigie du Roi », crie-t-on dans les campagnes.
Ce fut une plaie ouverte à jamais, dans le cœur de milliers de paysans, creusant un abîme de haine entre eux et les habitants des villes. C'est le début de la première guerre civile.
Le 10 avril, Hu Nim, Khieu Samphân et Hou Yuon, apportent leurs soutiens au front dirigé par Sihanouk et demandent aux paysans Khmers de rejoindre les maquis.
Début 1971, la France s'engage auprès de Norodom Sihanoulk, en lui promettant de tout faire pour renverser le gouvernement de Lon Nol, afin qu'il puisse revenir au pouvoir. Ainsi, dans le plus grand secret, la France déploie des conseillers militaires (plus exactement des officiers du SDECE), et commence à armer et à financer les Khmers rouges. Dès lors, des cargos venant de France et de Chine approvisionnent régulièrement les Khmers rouges et les Viêt-Congs via le port de Sihanoukville.